Systèmes de recommandation: quel futur, quel impact?

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Internet, un outil d’ouverture ou de repli? Quel rôle jouent les systèmes de recommandation numériques, ces fameux algorithmes qui vous suggèrent d’aller acheter tel produit, d’aller lire tel article sur base de ce que vous avez consulté ou de ce qu’ont consulté vos contacts? Par TK. 

De récentes critiques dénoncent internet comme un crépuscule à l’ouverture sur le monde. De plus en plus nous trouverions sur internet uniquement ce que nous chercherions et nous correspondrait le mieux. Plus d’excursion dans d’autres mondes partiellement étrangers. La rupture moderne de la société ne serait plus sociale mais groupusculaire: chacun s’enferme dans un parti de pensée, de genre ou de culture. Cet effet est d’autant sujet à controverse qu’il est difficile à observer et peut nourrir l’imaginaire d’une société contrôlée, influencée par une machine intelligente, des organisations secrètes ou autres. Sans entrer dans les mathématiques, le quantitatif, peut-on mieux comprendre qualitativement les mécanismes à l’oeuvre dans la technologie qui nous submerge?

Les systèmes de recommandation numériques

Intéressons-nous seulement aux systèmes de recommandation numériques. Ce sont tous ces algorithmes qui suggèrent sur le smartphone les articles à lire, sur facebook les postes à regarder, sur amazon les livres à acheter. Leur objectif, affiché et historique, est d’être suffisamment pertinent et personnalisé pour augmenter l’utilisation d’un service ou pour permettre plus de ventes. Leur part d’influence enfle à mesure que le commerce, l’information, la politique se dématérialisent. Pour certains secteurs, leur importance croît aussi avec l’information disponible. Et cette influence n’est pas juste celle d’une nécessité technique et commerciale, c’est aussi devenu un élément de l’évolution de la masse humaine et de ses idées. Car un livre ou un journal ne sont évidemment pas que des objets commerciaux.

Les systèmes de recommandation numériques ont simplement systématisé des mécanismes existants. Les différents journaux ont toujours joué ce rôle: proposer des contenus selon l’orientation politique. Chaque libraire étale des livres qu’il connaît et apprécie. En quelque sorte, ces marchands segmentent le monde réel et proposent chacun leur propre bazar. Sans numérique, l’homme doit choisir un fournisseur (journal, libraire) et en son sein faire son propre tri (article, livre). La personnalisation systématique de la recommandation nous décharge quasiment de ces deux tâches. Aussi anodin que ça puisse paraître, cela rend plus difficile la plongée dans un monde un peu différent que lorsque nous allons au kiosque acheter un journal ou chez le libraire découvrir des objets hors champs. C’est ce qui a été dénoncé comme la fin de la « sérépendipité”.

Collaborative versus content 

Mais tout cela devient véritablement inquiétant si les systèmes de recommandation numériques constituent aussi un péril à la diversification d’opinion. Il faut donc passer par une étape de de dissection pour interroger les deux principes généraux aux algorithmes de recommandation.

Le “collaborative filtering” recherche pour un utilisateur donné, tous ceux qui lui sont similaires et parmi ce que ceux-là ont vu ou acheté, il proposera les objets que l’utilisateur n’a pas encore consommé. Aussi deux utilisateurs se ressemblent s’ils partagent un historique d’achat ou de lecture semblable.Enfin par nature, ces algorithmes cherchent à proposer des objets similaires. Les variantes de cette idée sont extrêmement appliquées parce qu’elles donnent de bons résultats commerciaux; elles sont relativement simples à mettre en place et permettent de rapidement traiter énormément de donnée.

En plus de renforcer un individu dans sa pente naturelle, qualitativement le principe étaye aussi la similarité entre les groupes de personnes. Nous imaginons alors facilement une humanité divisée en groupe où dans un tel système chaque entité risquerait de se renforcer dans son entre-soi, tous ayant la même source d’information, de culture. Paradoxalement ici, la personnalisation de la recommandation est un leurre parce qu’elle se construit sur les tendances des autres utilisateurs.

Le second mécanisme se nomme “content-based filtering”. Contrairement au collaborative filtering, l’objectif est de comprendre directement l’article, le livre ou la musique suggérés. Dans ce monde informatique, comprendre c’est quantifier. C’est à dire représenter un livre ou un objet par une liste de nombres. C’est une tâche très difficile à réaliser automatiquement pour chaque type de donnée (musique, livre, images). L’ordinateur a alors une idée plus ou moins grossière de la relation que les objets entretiennent: se ressemblent-ils totalement ou en partie? De qui sont-ils légèrement ou radicalement différents? Le conseil d’un objet se base donc potentiellement sur autre chose que de la similarité et surtout d’une manière qui ne dépende pas de la pratique des autres utilisateurs. Malheureusement, il semblerait que la quantification des objets soit trop peu précise pour que les algorithmes se basent uniquement sur le “content-based filtering”. Pour l’instant il n’y a que des versions hybrides entre les deux. Malgré tout, le “content based filtering” laisse l’horizon ouvert à une recommandation réellement personnalisée qui pourrait éventuellement pallier au problème d’effet de groupe du “collaborative filtering”.

Tout cela n’est qu’une hypothèse possible. Juger de l’effet véritable de ces moyens de recommandation semble presque impossible: comment savoir si à grande échelle des peuples ont réellement plus tendance à se diviser? Malgré cette incertitude, dans la perspective future de l’omniprésence des systèmes de recommandation numériques, il semble plus souhaitable qu’ils évoluent dans le sens du “content-based filtering”. Cela donnerait un peu l’assurance d’une épine en moins dans le pied.

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