Rohingyas et Arakan, l’impossible équation birmane ?

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La Birmanie est officiellement un gouvernement civil depuis 2015, mais la transition démocratique entamée en 2011 ne se fait pas pour autant sans difficultés. Comme en témoignent l’assassinat récent d’un avocat spécialisé en droit de l’homme et le rapport de l’ONU du 3 février dénonçant les exactions des forces armées de l’État birman à l’égard des Rohingyas, les tensions entre groupes ethniques persistent. Aung San Suu Kyi, principale représentante du pouvoir civil, est décriée par la communauté internationale pour son inaction face à ce qui peut être qualifié de « nettoyage ethnique ».

Le dimanche 29 janvier, maître Ko Ni a été assassiné en plein jour dans l’aéroport de Rangoun. Cet avocat des droits de l’homme, de confession musulmane et proche d’Aung San Suu Kyi était très impliqué dans le rapprochement intercommunautaire au Myanmar. Symboliquement, c’est une nouvelle atteinte aux tentatives d’instaurer une réelle démocratie en Birmanie, et un acte qui s’inscrit dans la continuité du rejet des minorités musulmanes.

Une démocratie encore en construction

Il y a six ans, la Birmanie a mis fin à l’hégémonie militaire et a entamé une transition démocratique. Alors que la dictature birmane était une des plus féroces d’Asie, la LND (Ligue Nationale pour la Démocratie) remporte les élections démocratiques de 2015. C’est donc son leader, Aung San Suu Kyi qui devient secrétaire d’État et porte-parole de la Présidence, et de là la principale représentante du pouvoir civil. Détentrice du prix Nobel de la Paix de 1991 pour son engagement au sein de l’opposition démocratique au régime, son élection est perçue comme un facteur porteur d’espoir. Elle avait fait de la réconciliation nationale une de ses lignes directrices, notamment en mettant en place les Union Peace Conference, conférences qui doivent permettre aux différentes minorités et aux groupes armés de communiquer. Pourtant, elle reste en retrait dès qu’il s’agit du sort des Rohingyas, minorité musulmane la plus importante du territoire et considérée comme l’une des populations les plus persécutées actuellement dans le monde.

Carte Mynamar - Cité Unie

La structure particulière de la Birmanie est un élément clé pour comprendre ces tensions. Le pays se divise en sept régions rassemblant le principal groupe ethnique du pays et sept États, correspondant chacun à une grande minorité ethnique. Chacun possède son propre gouvernement composé de neuf ministres et d’un chief-minister désignés par l’Assemblée de la région ou de l’État. Néanmoins, en pratique, leur poids politique est limité puisque seulement un certain nombre de places est attribué à chacun au Parlement, contre 25 % réservées aux militaires dans chacune des deux chambres. En effet, le pouvoir est encore en partie aux mains des forces militaires birmanes, la Tatmadaw. Outre les places au Parlement, ils disposent également des ministères de la défense, de l’intérieur et des frontières. Ce qui, autrement dit, leur confère la gestion quasi exclusive des conflits ethniques internes. Ils sont aussi très présents au quotidien, par exemple aux postes frontières entre un État et l’autre depuis lesquels ils scrutent chaque véhicule qui passe. Enfin, c’est un pays entretenant un rapport fort à la religion bouddhiste, largement majoritaire. Ces divers éléments ont donc posé les bases, ou du moins contribué à l’émergence de tensions entre groupes ethniques, et notamment entre le pouvoir central et les Rohingyas.

Histoire des Rohingyas

Les Rohingyas sont une minorité musulmane installée dans l’État d’Arakan, au Nord-Ouest du pays. En 1982, le général Ne Win, alors en tête du pays suite à un coup d’État, met en place une loi sur la nationalité et décrète que seuls ceux présents sur le territoire avant l’arrivée des colons britanniques de 1823 auront droit à la nationalité birmane. 135 minorités sont alors reconnues comme birmanes, mais ce n’est pas le cas des Rohingyas. Il s’agit là d’une interprétation de l’histoire délibérément erronée pour servir les intérêts politiques du général : instaurer le bouddhisme religieux comme religion d’État. Alors que la déclaration universelle des droits de l’homme considère le droit à la nationalité comme fondamental, les Rohingyas se trouvent privés de nationalité et persécutés au travers de campagnes de discrimination anti-musulmane virulentes et un régime basé sur la peur.

Concrètement, à quoi cela revient-il d’être apatride ? Cela signifie ne pas avoir le droit de voter, d’occuper certaines fonctions, ni d’accéder à des droits primaires tels que l’éducation, la santé ou la propriété. Les Rohingyas sont donc confinés dans des ghettos entourés de barbelés et gardés scrupuleusement par l’armée étatique, desquels ils ne peuvent partir sans autorisation préalable. Outre la surveillance exercée par les militaires, tout témoin civil est encouragé à dénoncer tout comportement ou fait qui ne serait pas conforme. C’est là une des stratégies récurrentes des autorités birmanes et qui contribue fortement à faire régner l’ordre et à assurer leur pouvoir.

Un nouveau tournant depuis octobre

Cette persécution qui persiste depuis des décennies prend un nouveau tournant en octobre 2016, suite à des attaques répétées à des postes-frontières par des groupes armés identifiés par la police comme appartenant aux Rohingyas. Les forces birmanes, y voyant  des attaques terroristes, lancent une offensive dans l’État d’Arakan. Du jour au lendemain, des milliers de personnes se voient chassées de leurs villages et contraintes de fuir, notamment vers le Bangladesh.

Impossible pour les journalistes ou pour les aides humanitaires d’entrer la zone, considérée comme « zone rouge » par l’armée. Aung San Suu Kyi, à la tête du parti LND (Ligue Nationale pour la Démocratie) et détentrice du Prix Nobel de la Paix de 1991, se défend en disant qu’il s’agit d’une action ciblée visant à neutraliser les présumés auteurs des présumés attentats. Néanmoins, un rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) daté du 3 février 2017 juge que plutôt que l’appellation « action ciblée », les exactions de l’armée birmane contre les Rohingyas méritent davantage la qualification de crimes contre l’humanité.

Le silence du prix Nobel de la Paix

Défendue et admirée par la communauté internationale, Aung San Suu Kyi se retrouve à présent sous les feux des projecteurs… pour son inaction et son silence face au « nettoyage ethnique » qui prend place en Arakan.

Zeid Ra’ad al-Hussein, le Haut-Commissaire pour les droits de l’homme de l’ONU, a appelé le gouvernement à réagir. Pour la première fois, on voit l’ébauche d’une action concrète prise par les autorités avec la diffusion d’une vidéo où des policiers brutalisent des villageois Rohingyas et l’arrestation de trois d’entre eux. Néanmoins, il y a encore des signes de résistance lorsqu’il s’agirait de mener une investigation internationale indépendante plus poussée sur la situation dans l’État d’Arakan.

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