RISK en Europe de l’Est

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Depuis la crise ukrainienne, les relations entre la Russie et ses voisins européens n’ont pas cessé de se dégrader, relançant l’idée d’un retour de la Guerre froide. Cette perspective se renforce avec la montée en puissance des opérations militaires dans les pays baltes, dans l’enclave russe de Kaliningrad et en général dans toute l’Europe de l’Est. De quelles opérations s’agit-il ? Est-ce le signe d’une escalade militaire ou sommes-nous simplement devant un nouvel outil de la guerre de l’information que se livrent la Russie et l’OTAN ? Ces opérations sont-elles le préambule d’un conflit sur le théâtre européen ? Par Mario Dellagiacoma 

Les relations entre les pays membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) et la Russie ont toujours été complexes. Les pays baltes et la Pologne, sortant de plusieurs décennies de dictature sous le joug de l’URSS, voient encore la Russie comme la principale menace pour leur souveraineté et ont donc préféré se tourner vers l’OTAN. De son côté, Vladimir Poutine, qui a vu à plusieurs reprises son pays humilié par les occidentaux depuis la chute de l’URSS, veut restaurer l’orgueil et la puissance de la Russie. Il voit en L’OTAN et les pays européens voisins des obstacles à ses projets. Sa détermination s’est illustrée avec la crise ukrainienne.

Après la chute du Président Ianoukovytch et face à la volonté de l’Ukraine de se rapprocher de l’Union européenne (UE), la Russie décida d’annexer la Crimée et de fournir un soutien militaire aux mouvements sécessionnistes russes dans l’est de l’Ukraine. Le message de Poutine était clair : on ne touche pas à la zone d’influence russe. Ces manœuvres peu orthodoxes ont renforcé le sentiment de menace qui pèse sur certains pays voisins de l’Ukraine comme la Pologne, mais aussi sur les pays Baltes, qui se voient comme les prochains sur la liste.

Face à l’ingérence russe en Ukraine et devant sa montée en puissance sur le plan militaire (nouveaux systèmes de missiles anti-aériens, modernisation de sa flotte aérienne, remplacement des véhicules datant de la guerre froide) l’OTAN, sous l’impulsion américaine, a réagi dans le but de rassurer ses alliés de l’Est et montrer sa fermeté sur le plan international.

Depuis lors, le monde assiste à la reprise des grands exercices militaires de l’OTAN pour développer et améliorer les opérations interarmées. En face, la Russie fait de même en mobilisant beaucoup plus d’effectifs. Un vent de guerre froide se lève en Europe de l’Est.

Saber Guardian, Zadad, Aurora, la montée en puissance

Saber Guardian est un exercice militaire annuel qui réunit l’armée américaine et plusieurs armées européennes. Il a lieu en Hongrie, Roumanie et Bulgarie durant l’été, du 11 au 20 juillet. Il s’agit de simuler un conflit à grande échelle, d’où la mobilisation de toutes les composantes (logistique, renseignement, communication, unités combattantes) et de toutes les branches (armée de terre, marine et armée de l’air) de l’armée, le tout sous un commandement américano-européen. Le but est de développer et d’améliorer la coopération entre tous les participants.

Néanmoins, des éléments importants différaient par rapport aux années précédentes. D’une part, les effectifs mobilisés tout comme le nombre de participants étaient en nette hausse. En effet, Saber Guardian 2017 a réuni une force de 25 000 soldats (14 000 américains et 11 000 européens) de 22 armées européennes (parmi lesquelles l’armée ukrainienne) alors qu’en 2016 l’exercice n’avait réuni que 2 500 soldats issus de 9 pays. D’autre part, l’emphase était mise sur le « réalisme » de l’exercice, avec la mobilisation de chars de combat, des phases de tirs réels, des frappes aériennes et la présence de ponts artificiels. Saber Guardian est alors devenu un prolongement de l’opération Atlantic Resolve, qui est le déploiement permanent d’unités américaines et de l’OTAN aux frontières orientales de l’Europe.

À peine Saber Guardian terminée, l’Europe de l’Est a été de nouveau le théâtre d’un exercice militaire, mais cette fois du côté russe. Du 14 au 20 septembre, l’armée russe a entrepris un exercice conjointement avec l’armée biélorusse, appelé Zapad (ouest en russe). Cet exercice a lieu tous les 4 ans et remonte aux temps de l’URSS, qui l’utilisait pour tester ses nouveaux armements ou de nouvelles tactiques.

Cette année, le scénario de l’exercice va se baser sur une insurrection armée en Biélorussie attisée par des « saboteurs » envoyés par 3 pays imaginaires : Vesbaria, Lubenia et Veyshoria. Les russes interviennent pour aider leur allié et réinstaurer l’ordre. Cette vaste simulation comporte plusieurs volets, comme les opérations « conventionnelles », les opérations contre-insurrectionnelles, les opérations aériennes et anti-aériennes, ainsi que des exercices de frappe en profondeur.

L’opération Zapad s’est déroulée en Biélorussie, en Russie et dans son enclave de Kaliningrad, occupant une zone de 700 km (nord-sud) sur 600 km (est-ouest). Outre son étendue gigantesque, l’exercice a mobilisé 12 700 soldats, 70 avions de combat, 680 pièces d’artillerie, 250 chars et 10 bateaux de combat selon les chiffres officiels. Mais certains experts occidentaux mettent en question la véracité de ces données et évoquent un nombre de soldats supérieur à 100 000.

Il ne faut pas non plus oublier l’exercice Aurora, le premier grand exercice militaire depuis 20 ans en Suède. Du 11 au 29 septembre, 19 000 soldats de l’armée suédoise et plus de 2 000 membres des forces armées des États-Unis, Danemark, France, Finlande, Lituanie, Norvège et Royaume Uni, ont fait face à une « invasion » du territoire suédois par une armée voisine. Les « combats » se sont déroulés dans les zones côtières de la mer Baltique, plus précisément les régions de Mälardalen, Stockholm, Gotland et Göteborg. Aurora aura mobilisé toutes les branches de l’armée suédoise, mais aussi les autorités publiques : il est prévu, en effet, qu’en cas d’invasion, la police et les pompiers doivent travailler étroitement avec l’armée suédoise.

On constate donc que pendant le mois de septembre, plus de 100 000 soldats (l’équivalent de la population de Nancy) ont été mobilisés et avec eux plus d’une centaine d’avions de chasse, plusieurs centaines de pièces d’artillerie, des chars et quelques milliers de tonnes de matériel logistique et d’approvisionnement.

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Les coulisses des opérations

L’annexion de la Crimée et l’intervention aux côtés des milices pro-russes dans l’est de l’Ukraine ont montré aux américains et aux européens que les russes n’étaient pas hors-jeu. Il fallait donc rassurer les États baltes qu’ils ne subiraient pas le même sort que les ukrainiens et surtout dissuader la Russie d’entreprendre toute intervention dans la région. C’est sans doute pour ces raisons que Saber Guardian a mobilisé autant d’effectifs. Il fallait montrer que l’OTAN était capable de mobiliser d’importants moyens militaires et surtout de les déplacer rapidement sur toute l’Europe de l’Est, d’où le déploiement des opérations dans trois pays (Roumanie, Hongrie et Bulgarie). Le choix de ces trois pays n’est d’ailleurs pas aléatoire : depuis plusieurs années ces territoires n’attiraient pas l’attention de l’Alliance atlantique et des États-Unis, et certains gouvernements locaux ont commencé à se rapprocher des russes.

Même si l’OTAN justifie l’exercice comme un moyen de dissuasion pour tout acteur qui veut déstabiliser la région, plusieurs généraux ne cachent pas que la cible du message est bien la Russie.

Il ne faut pas oublier que Saber Guardian fait partie d’un ensemble d’exercices tout le long de la frontière russe qui porte un message clair : nous sommes une force unie et toute intervention ou tentative de soutien de mouvements séparatistes, devra faire face à une force militaire importante.

En ce qui concerne Zapad, plusieurs hypothèses peuvent expliquer cette opération des russes. Pour certains, Zapad est la réponse aux « provocations » de l’OTAN, mais cette hypothèse paraît simpliste et réductrice. Plusieurs experts estiment que l’exercice Zapad confirme des hypothèses très alarmantes. D’après les descriptions des autorités russes, Vesbaria ressemble étrangement à la Lituanie et quant à Lubenia c’est avec la Pologne que les experts trouvent des points en commun.

Par ailleurs, les experts voient l’exercice militaire russe comme un moyen de cacher leurs vraies intentions. Zapad pourrait être le prélude au maintien d’une force permanente dans le territoire biélorusse et viendrait surtout renforcer la présence russe dans l’enclave de Kaliningrad, ce qui en cas de conflit, leur permettrait de séparer les pays baltes de leurs alliés de l’OTAN. Les américains et les européens pourraient contrer ces intentions en augmentant les effectifs dans les pays Baltes et surtout en y organisant des manœuvres à plus petite échelle. Les soldats russes postés en Biélorussie, quant à eux, permettraient aussi à la Russie d’entreprendre des opérations « hybrides » comme celles organisées en Ukraine avec les célèbres hommes verts.

Plusieurs signes alarmants renforcent ces scénarios-catastrophes. Les derniers conflits à grande échelle initiés par les Russes ont toujours été précédés de gigantesques exercices. En 2008, l’exercice Kavkaz fut l’échauffement pour le conflit géorgien qui a permis aux russes d’occuper l’Ossétie du Sud. Le même scénario s’est répété en 2013 avec l’Ukraine – coïncidence, l’exercice s’appelait Zapad. Les exercices actuels peuvent aussi servir à intimider certains pays afin d’influencer leurs politiques. Il ne faut pas oublier qu’en 1981 les Soviétiques ont entrepris des manœuvres pour faire pression sur les polonais pour réprimer Solidarność.

L’organisation de l’exercice Zapad 2017 montre que la Russie mène une politique hostile dans la zone, car elle ne respecte pas les documents de Vienne. Ces derniers, signés par les membres de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), dont la Russie fait partie, encadrent l’organisation de grandes manœuvres militaires afin d’éviter une mauvaise interprétation qui pourrait déboucher sur un conflit à grande échelle. Parmi les règles qui émanent de ces documents, il y a l’obligation de faire connaître, en amont de l’exercice, les effectifs mobilisés et les zones où auront lieu les manœuvres et surtout d’inviter les autres pays à observer certaines activités. La Russie n’a que partiellement respecté ces règles : elle a fait état de la mobilisation de 12 000 soldats afin d’éviter les mesures restrictives en cas de dépassement du seuil des 13 000 hommes. Mais bien avant le début des manœuvres de Zapad 2017, il y a eu d’importants mouvements de transport de troupes via le réseau des chemins de fer.

Face aux manœuvres militaires et aux différentes infiltrations de son espace aérien et maritime par l’armée russe, la Suède a réagi. Depuis près de 20 ans, la Suède n’a pas entrepris de grands exercices militaires, mais la puissance du voisin russe a poussé le gouvernement suédois à changer ses priorités en matière de défense. C’est dans ce cadre que s’inscrit l’exercice Aurora qui a plusieurs particularités ; c’est d’abord le premier exercice depuis 1990 qui a pour base un scénario de défense du territoire national. Ainsi, l’armée suédoise est passée d’une force spécialisée dans les opérations de maintien de la paix dans des pays en crise à une force de protection de la souveraineté nationale. Ensuite, avec Aurora, la Suède avance vers une plus étroite coopération avec l’OTAN et la Finlande voisine.

La Suède ne fait pas partie de l’Alliance atlantique en vertu de sa politique de neutralité. Mais en 2014, Stockholm a signé et ensuite ratifié un accord pour permettre au forces de l’OTAN d’emprunter son espace terrestre, aérien et maritime. Au même moment, l’armée suédoise a signé un accord pour développer une force opérationnelle maritime avec l’armée Finlandaise. Il s’agit de renforcer la coopération entre les deux pays, afin de faire front commun face à la Russie.

La guerre c’est pour demain ?

Au vu de ces manœuvres, une question se pose : va-t-on vers un conflit ? Pour certains, en particulier plusieurs gouvernements de l’Europe de l’Est de l’Europe, la réponse est oui. Mais la plupart des experts estiment que le risque d’un conflit n’est pas imminent. En effet, même si l’armée russe peut mobiliser des centaines de milliers d’hommes, son équipement est loin du niveau de ceux des armées occidentales. Certains chars datent des années 80 et l’armée russe connaît d’innombrables problèmes de logistique. Cette situation donne l’avantage à l’OTAN, mais sans doute pas pour longtemps. Depuis son retour au pouvoir, Vladimir Poutine a augmenté le budget de la défense et a lancé un processus de modernisation de toute l’armée russe. D’un point de vue politique, la situation actuelle n’est pas propice à une intervention. D’abord parce que les pays baltes et la Pologne ont une structure politique plus stable que celle de l’Ukraine ; et ensuite parce que l’OTAN a montré son unité et sa force, même si le président des États-Unis, Donald Trump, ne s’est pas privé de critiquer l’organisation. Enfin une crise dans cette région ne serait bénéfique pour personne.

Face à cette situation, L’OTAN devrait peut-être s’inspirer de la politique suivie vers la fin de la Guerre froide : faire preuve de fermeté face aux Russes, mais sans fermer la porte au dialogue. Il importe de considérer la Russie non comme un ennemi, mais comme un interlocuteur avec qui il faut être ouvert à la discussion. Il faut comprendre et surtout écouter ses préoccupations, tout en pesant ses menaces.

 

 

 

 

 

 

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