François Hollande n’aura pas respecté tous ses engagements politiques, mais il serait difficile de lui reprocher de ne pas avoir honoré celui-ci : « Je serai un président normal, pas un président ordinaire. » Cette promesse, prononcée quelques mois avant les élections présidentielles de mai 2012, le chef de l’État français l’a même tenue plus d’une fois ; car s’il est malheureusement normal pour un politique de s’abandonner aux bras d’une maîtresse actrice, il est rare qu’il aille la chercher en scooter dans la nuit ; et s’il était normal de ne pas renouveler son mandat présidentiel sous la IIIe République, il était jusqu’ici peu ordinaire (même jamais vu) d’y renoncer volontairement sous la Ve République. Ainsi, Monsieur Hollande se sera embarrassé de peu de coutumes politiques françaises, et cela jusqu’à la fin.
Le jeudi 1er décembre, vers 20 heures, François Hollande annonçait qu’il ne se représenterait pas aux prochaines élections. Sa voix, humble et posée, témoignait d’une réflexion mûre et trahissait une certaine tristesse. « J’ai décidé… » a-t-il commencé. À croire que les sondages répétés dénonçant son impopularité décroissante lui avaient laissé la possibilité de choisir. Pourtant, en juin dernier seulement, le président empruntait une autre voie en s’annonçant candidat à la primaire socialiste de janvier 2017. Or, déjà, les opinions citoyennes lui étaient défavorables. Deux ans après l’emménagement de Hollande à l’Élysée, Cécile Amar publiait un ouvrage intitulé Jusqu’ici tout va mal dressant un bilan prématuré mais précurseur de l’échec du président.
Toutefois, après cinq gouvernements, 15 remaniements et 74 ministres et secrétaires d’État en moins d’un mandat, François Hollande ne fléchissait pas ; un mât dressé, inaltérable, traversant une houle de feu. Pourquoi le chêne s’est-t–il si soudainement brisé ? Quels événements l’ont ainsi détourné de ses objectifs en quelques mois ? Sûrement la proximité des primaires, justement, a-t-elle rendu sa défaite plus palpable. Il est probable que les résultats des votes socialistes aient révélé une nette préférence pour les autres candidats à son détriment. On imagine alors difficilement comment François Hollande, encore en fonction, aurait pu conserver la légitimité qu’il lui restait, jusqu’à la fin de son mandat.
De plus, l’autorité qu’il détient encore sur les membres de son gouvernement aurait pu être balayée d’un geste facile, au profit des gagnants de la primaire. Manuel Valls a d’ailleurs fait preuve d’une remarquable prestesse suite au discours du 1er décembre pour appliquer la stratégie qu’il concoctait ouvertement depuis des mois. En effet, face aux médias, l’ancien Premier ministre se montrait de plus en plus ferme là où le président apparaissait indécis, et accueillant vis-à-vis des journalistes. Ses propos laissaient progressivement transparaître ses convictions personnelles, au-delà d’un traditionnel soutien du chef de l’État. Au lieu de cela, le peuple français a su trancher entre ces deux figures politiques. Au 30 novembre dernier, la cote de popularité de Manuel Valls atteignait 31 % contre 17 % pour François Hollande. Face à l’émancipation de son ancien Premier ministre, le président s’est-il trouvé en position d’échec et mat ? Dans une lutte commune contre la droite et l’extrême droite, sa renonciation pourrait être le fruit d’un accord entre les deux hommes pour laisser place au plus populaire. Quoi qu’il en soit, le chef de l’État a tout intérêt à soutenir Manuel Valls dans cette candidature. En effet, à moins de se contredire entièrement, ce dernier continuera a priori à défendre les idéologies qu’il a soutenues comme chef du gouvernement. Son intransigeance sur l’interdiction du port du voile, son interprétation stricte du concept de laïcité française, ou encore sa défense de la « règle d’or » pour lutter contre la dette publique, notamment, s’annoncent comme des points centraux dans sa campagne. Ainsi, quand bien même François Hollande ne partagerait pas ces lignes directrices avec autant de fermeté, il sera dans son intérêt politique de s’y conformer. En soutenant son ancien collaborateur, Hollande appuiera indirectement les avancées politiques de son propre mandat. S’il s’en détachait, il se désolidariserait alors d’une figure relativement appréciée de la France, et il perdrait le bénéfice d’avoir été son mentor. N’oublions pas que malgré sa décision de non-renouvellement de mandat aux prochaines élections, François Hollande n’a pas pour autant prononcé son dernier mot politique. Sa future entrée au sein du Conseil constitutionnel en tant qu’ancien chef de l’État en atteste… Ses prochains pas risquent donc d’être tout aussi déterminants que ceux des cinq dernières années — mais plus déterminés, espérons-le.