Pourquoi faut-il aller voir Three Billboards : les panneaux de la vengeance, In The Fade et Le Grand Jeu

Au cinéma, les rideaux s’ouvrent cette année sur une programmation marquée par trois premiers rôles féminins : Mildred Hayes (Frances McDormand) dans Three Billboards : les panneaux de la vengeance de Martin McDonagh, Katja Sekerci (Diane Kruger) dans In The Fade de Fatih Akin et Molly Bloom (Jessica Chastain) dans Le Grand Jeu de Aaron Sorkin. Ainsi, dans le sillage d’une 75e cérémonie des Golden Globes très critique à l’égard de la sous-représentation des femmes à l’écran, que vaut donc ce choix de distribution qui intrigue ? Portraits croisés de trois personnages hauts en couleurs… Par Jade Pohren

Un intérêt sociologique : des films réalistes qui dépeignent avec justesse la vérité des inégalités femmes-hommes de notre société en toile de fond

Synopsis

Ayant remporté le prix du meilleur scénario à la Mostra de Venise 2017, Three Billboards raconte l’histoire de Mildred Hayes, ou comment celle-ci décide de provoquer la police de sa petite ville du Missouri pour relancer l’enquête sur le viol et le meurtre de sa fille, sept mois plus tôt. Pour cela, elle fait installer sur trois panneaux publicitaires à l’entrée d’Ebbing les messages suivants : « VIOLÉE EN MOURANT», « MAIS TOUJOURS PAS D’ARRESTATION ?», « COMMENT CELA SE FAIT-IL, CHEF WILLOUGHBY ?». Ceux-ci ont pour conséquence d’animer la localité toute entière, très en colère contre notre personnage principal…

In The Fade rapporte le parcours de Katja, dont l’interprétation par Diane Kruger valut à celle-ci le prix d’interprétation du festival de Cannes 2017. Jeune hambourgeoise bouleversée par les décès de ses fils et mari dans un attentat à la bombe, ce film la suit dans sa tentative de faire face à l’horreur d’une tragédie extrême dans le cadre de laquelle elle est grandement investie pour faire avancer l’enquête policière qui en procède. Grâce à des preuves accablantes, son inspecteur finit par arrêter un jeune couple néo-nazi…

Enfin, Le Grand Jeu retrace le parcours de Molly Bloom, ancien espoir olympique en ski de bosses. Après une chute grave, Molly quitte le Colorado pour Los Angeles où elle vit de petits boulots ; elle y travaille notamment pour Dean Keith, manager tyrannique. Ce dernier lui fait découvrir le monde des tournois de poker de haut niveau où elle côtoie des stars de tout milieu. Avec talent, elle monte rapidement ses propres soirées où l’argent coule à flot …

Des films révélateurs des inégalités femmes-hommes de notre société

Lorsque l’on se penche un instant sur les situations sociales respectives de ces trois femmes, on observe que chacune d’entre elles se retrouve dans une situation de domination masculine au sein et au-delà de son propre cercle familial. Ainsi, Mildred a dû se séparer de son mari en raison des violences psychologiques et physiques qu’il lui faisait subir. Par ailleurs, c’est pour faire avancer l’enquête sur le viol et le meurtre de sa fille qu’elle se bat.

Ensuite, lorsque la police l’interroge sur son métier dans le cadre de l’enquête sur les décès de ses fils et mari, Katja de répondre qu’elle était la mère du premier et le comptable du second. Autrement dit, c’est dans une dépendance totale aux deux hommes de sa vie qu’elle se définit elle-même des points de vue personnel et professionnel, à l’image de la société allemande qui incite encore culturellement les femmes à s’occuper de leurs enfants plutôt qu’à faire carrière. Elle semble donc ne plus « être », en leur absence.

Enfin, en dépit de sa forte personnalité, Molly se trouve dès le plus jeune âge sous le joug des exigences de son père qui a toujours voulu faire d’elle une championne olympique en ski de bosses depuis sa tendre enfance dans le Colorado. A Los Angeles, elle tombe dans une situation de manipulation absolue lorsque son manager tyrannique Dean Keith lui répète régulièrement qu’elle n’est pas importante avant de décider de cesser de la payer pour une partie de son travail, puis de la virer. Aussi, elle devient dans ce cadre une jeune femme hypersexualisée. Elle porte des robes très découvertes et un maquillage épais en vue d’exagérer sa féminité pour s’imposer dans le milieu du poker alors mené par des hommes de pouvoir. Cela lui vaudra plus tard le surnom réducteur de « poker princess » de la part de l’avocat qui la défendra dans son affaire pour avoir tenu une maison de jeu illégale à Manhattan.

Un intérêt humaniste : trois premiers rôles féminins dans un contexte cinématographique masculino-centré

Des femmes fortes au centre de l’intrigue

Aussi, ces histoires de dépeindre trois femmes fortes, au centre de l’intrigue. En effet, ce sont leurs décisions qui lancent les récits et dirigent leurs orientations respectives. Par ailleurs, Mildred, Katja et Molly assument toujours des choix difficiles tout en tenant tête à des figures d’autorité, exclusivement masculines… Par exemple, c’est en direct d’une chaîne d’informations que Mildred lance le récit de Three Billboards en affirmant publiquement que si « [sa] fille Angela a été assassinée il y a sept mois, il [lui] semble que le département de police est trop occupé à torturer des personnes noires plutôt qu’à résoudre des crimes ayant factuellement eu lieu ». Ce degré de provocation lui vaut d’être détestée de toute la ville, y compris du père de ses enfants qui la tient pour responsable de la disparition de leur fille. Malgré l’envenimement drastique de sa situation, c’est avec grande force qu’elle tient tête à la police et aux représailles de ses voisins, au nom de sa quête permanente pour la vérité et la justice.

C’est également de sa quête permanente pour la vérité et la justice que Katja puise sa force malgré l’horreur de la tragédie qu’elle doit affronter. De toute façon, c’est un de ses traits de caractère. Elle fait déjà preuve de personnalité quand, jeune étudiante, elle décide de se marier avec son partenaire, kurde et détenu pour trafic de drogue de surcroît, malgré la ferme opposition de ses parents à ce sujet. Elle prouve aussi l’ampleur de son tempérament lorsque le couple néo-nazi est déclaré, à tort, non-coupable de l’attentat. Alors que son avocat lui conseille de faire appel de la décision du juge par la voie juridique, Katja choisi plutôt de se rendre en Grèce à la poursuite de ces terroristes…

Au centre de l’intrigue, Molly est également au cœur du titre américain du film : Molly’s Game. À 22 ans, elle est championne mondiale de ski de bosses et gère avec succès l’extrême niveau de stress de la compétition sportive de haut niveau. À Los Angeles, elle sait faire face à un manager tyrannique et jaloux qu’elle concurrence ensuite avec efficacité en prenant la main sur ses joueurs de poker, prouvant alors ses réelles compétences de leadership sur ceux-ci. À 26 ans, elle fonde seule un empire de jeu reposant sur des millions de dollars à Manhattan et écrit un best-seller à grand succès sur cette expérience.

Des femmes cérébrales auxquelles on donne la parole

Au-delà de leur force, ces femmes sont intelligentes ; les scénaristes de nous le montrer en leur octroyant une parole efficace. Lorsque le Père d’Ebbing se rend au domicile de Mildred pour lui demander de retirer ses panneaux « publicitaires » installés à l’entrée de la ville, c’est via une longue tirade extrêmement percutante qu’elle le refuse. Entre insolence et subtilité, elle lui fait remarquer qu’il n’a aucune légitimité morale supérieure à lui faire valoir sur sa vie et ses choix au regard de la gravité des affaires d’agressions sexuelles auprès d’enfants de chœur propres à sa communauté religieuse et de la loi du silence existante à ce sujet.

De son mariage à un homme turc kurde à son indignation à l’égard de la police enquêtant d’abord sur les trafics de drogue passés de son mari en semblant oublier son statut de victime dans l’attentat, l’intelligence de Katja s’exprime avant tout à travers son ouverture d’esprit dans un contexte sociétal allemand marqué par des relents conservateurs et racistes. C’est en réaction à sa famille et à la société qu’elle exprime spontanément son humanisme profond à chaque étape de son histoire.

Enfin, c’est en grande partie grâce à son mental d’acier que Molly peut être championne de ski de bosses jusqu’à ses 22 ans. En parallèle, elle obtient également une licence en sciences politiques avec une note de 19/20 mention summa cum laude à l’Université de Boulder, Colorado. Passionnée de droit, elle connaît ses subtilités et se tient à la hauteur des remarques de son avocat dans la préparation de son procès. Lors de ses nombreuses parties de poker, elle discute des heures durant avec l’élite de la société américaine et apprend énormément de la sorte dans les domaines politique, économique, financier, musical et cinématographique.

Un intérêt créatif : des personnalités de femmes complexes au-delà des habituels stéréotypes de genre

Des personnages imprévisibles qui défient les lois du droit et de la morale

Si ces femmes se trouvent toutes trois dans une situation de domination masculine, il convient de remarquer qu’il ne s’agit pas là de personnages complètement lisses présents seulement en tant qu’ornements d’une histoire. Au contraire, ce sont des âmes profondes et complexes qu’ont voulu construire les scénaristes de ces films ; imprévisibles, y compris vis-à-vis d’elles-mêmes. Ainsi, Three Billboards s’achève sur une inconnue pour le

spectateur comme pour Mildred. Étant informée de l’agression sexuelle d’un homme sur une jeune femme, elle part à sa recherche avec un ancien policier d’Ebbing en vue de l’assassiner. Conscients qu’il n’est pas l’assassin d’Angela, ils commencent à douter de la légitimité morale de leur entreprise. Jusqu’où aller au nom de la justice ? Finalement, ils décident de se donner le temps du trajet jusqu’à la demeure de l’agresseur pour changer d’avis ou non.

Veuve d’un ex-trafiquant de drogue, Katja n’hésite pas à s’inscrire dans un environnement frisant l’illégalité et l’immoralité. Sur les traces de son mari, c’est auprès d’un ami du couple qu’elle se procure de la drogue pour soulager sa douleur suivant la destruction de sa famille.

À plusieurs reprises, Molly dépasse elle aussi explicitement les limites de la moralité. Comme Katja, elle consomme drogues et médicaments pour rester éveillée jour et nuit en vue de parfaire son empire du poker à Manhattan. Pour le faire fructifier, elle n’hésite pas à se lancer dans la clandestinité et les affaires d’escroquerie, percevant ainsi des milliers de dollars de façon tout à fait illégale.

Des femmes provocatrices et extrêmes

De façon exponentielle au cours de ces trois films, ces femmes sont audacieuses, provocatrices et extrêmes. Mildred de souvent lancer des phrases acerbes du type : « Comment se tient donc le business de torture de nègres, Dixon ? », en s’adressant ici à un policier de sa ville avant son propre interrogatoire. Après l’incendie criminel de ses précieux panneaux publicitaires, elle met également le feu au commissariat d’Ebbing pour signifier sa colère face aux représailles des citoyens de la ville qui la prennent à tort pour responsable du suicide du chef Willoughby.

Dans In The Fade, Katja décide de suivre les terroristes nazis ayant assassiné sa famille jusqu’en Grèce pour établir sa vengeance, après leur victoire au procès de l’attentat à la bombe. Ne faisant pas confiance au droit dans le jugement de son affaire, considérant certainement que des années de prison n’équivalent pas à la mort et, n’ayant plus la force de vivre, elle s’introduit discrètement dans le camping-car d’André et Edda Möller pour se faire exploser avec eux, un matin sur une plage du sud.

Dans Le Grand Jeu, Molly finit par être confrontée à des clients refusant de payer leur dû. Pour s’en sortir, elle choisit d’enfreindre la loi en prenant une commission dans une partie de poker. Après son arrestation, elle plaide coupable des charges retenues contre elle, risquant une peine de dix ans de prison ferme. Malgré les conseils de son avocat et, de façon tout à fait inattendue, elle dit vouloir ne pas salir son nom, celui-ci étant alors « la seule chose qu’il lui reste ».

Finalement, si ces personnages évoluent chacune dans des contextes d’inégalités femmes-hommes, elles ont toutes trois des personnalités fortes et complexes. Individuellement, elles possèdent des qualités habituellement prêtées aux hommes dans l’histoire du cinéma. En ce sens, il s’agit véritablement d’aller voir ces trois films du mois de janvier comme un triptyque humaniste mettant à l’honneur des femmes que, plutôt que pour leur féminité seule – lisse et réductrice –, l’on admire davantage pour l’éventail des spécificités de leur individualité.

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