Les Fables de La Fontaine : animaux personnifiés ou êtres humains déshumanisés ?

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Du XVIIe au XXIe siècle : Petit inventaire des mœurs d’un XVIIe passé et pourtant encore bien présent. À l’occasion du salon du livre qui s’est tenu à Paris en mars dernier, j’ai eu l’opportunité en me baladant de stand en stand, de redécouvrir les Fables de La Fontaine, cachées derrière une palanquée de nouveaux livres de science-fiction et autres récits fantastiques. Éprise d’une nostalgie soudaine de mon enfance, me voilà replongée dans les récits de ces petites bêtes. Par Bessma Sikouk.

 

Des fables pas si vieilles que ça

Ces Fables n’avaient-elles pas un petit goût de science-fiction ? Le nouveau et l’ancien se sont toujours confrontés. Depuis avant l’époque de La Fontaine jusqu’à nos jours, on n’a cessé de se demander s’il fallait se cantonner aux prouesses du passé pour les déifier, voire les mystifier et ne surtout pas en altérer l’idéal esthétique et moral, ou s’il était plus approprié de trouver un art d’écrire et des sujets propres à notre siècle ? La Fontaine y a merveilleusement répondu dans ses Fables. Les Fables de La Fontaine s’inspirent de nombreux récits et auteurs de l’Antiquité, dont Ésope et Phèdre pour ne citer qu’eux. Toutefois, il y a ajouté des sujets de son temps, un vocabulaire nouveau apportant une touche de modernité et une forme autrefois non considérée comme noble : l’apologue. C’est ce subtil mélange d’ancien et de moderne qui lui donne son caractère intemporel. L’alliage du noble et d’une sensibilité personnelle indispensable à l’appropriation loyale d’un art révélé sous une lumière nouvelle et qui a tout autant à signifier à une époque qui n’a, finalement, sur certains points, pas tant changé. La prouesse de ces fables est double : non seulement elle met en lumière les artifices d’une société de l’époque accaparée par l’art de paraître mais, elle expose également ceux de notre temps. Ne trouvez-vous pas que ces fables se révèlent d’autant plus parlantes dans notre société 2.0 ? Parler de soi et rien que de soi n’est-il pas devenu l’apanage de tous ? Photos et émojis ne seraient-ils pas devenus notre unique façon de communiquer ? La question existentielle d’Hamlet est-elle encore  « être ou ne pas être »  ou serait-elle devenue  « paraître ou disparaître » ? Les diktats sont nombreux, la norme est imposée, même l’originalité est contrôlée. Difficile d’exprimer sa vérité face à tant de pressions. La pudeur des corps s’en est allée pour devenir celle des cœurs. Il faut tout montrer sauf ce que l’on ressent vraiment. La pudeur est-elle là où elle le devrait ? Ne manque-t-il pas à ces images qu’on nous sert sur les abribus ou dans le métro, cette humanité, ce transcendant qui transpire d’un tableau peint avec sensibilité ou d’une photo prise avec honnêteté ?

 

« Apprendre à se connaître est le premier des soins »

« Connais-toi toi-même » disait Socrate ! « Deviens ce que tu es ! » disait Nietzsche. Voilà le dessein qui devrait nous animer : une quête assoiffée de vérité et d’authenticité. À quoi bon courir derrière une image qui n’a rien de réel ? Le capitalisme ne nous rendrait-il pas esclaves en nous montrant le bonheur sous un jour trompeur, nous incitant ainsi à cultiver une insatisfaction et une frustration permanentes en nous poussant à consommer toujours plus pour atteindre un désir inassouvissable du fait de son inexistence certaine ? La Fontaine l’avait compris et il nous a conseillé de ne pas nous laisser leurrer par l’apparence. Dans L’Âne portant des reliques, ce précepte qui sert encore aujourd’hui nous disait que « d’un magistrat ignorant, c’est la robe qu’on salue ». C’était l’histoire d’un baudet qui portait de l’encens et bien d’autres objets précieux. Celui-ci, voyez-vous, se vantait de les posséder. Or ces richesses ne lui appartenaient pas, il ne faisait que les transporter. Mais peu importe la vérité, ce qui comptait seulement était l’image renvoyée. En effet la quête de vérité est très importante chez La Fontaine, on la retrouve à de nombreuses reprises. Elle est si prépondérante que c’est par Le juge arbitre, l’Hospitalier et le Solitaire  qu’il termine son livre XII : « Cette leçon sera la fin de ces Ouvrages […] Par où saurais-je mieux finir ? » disait-il. Cette leçon, quelle est-elle ? Il était trois saints : un juge, un médecin et un solitaire. Tous trois voulaient accéder au bonheur suprême mais tous trois prirent des chemins différents pour y arriver. Le premier voulait combattre l’injustice, le second voulait guérir les pauvres malades. Mais tous deux n’étaient pas heureux : l’injustice faisait toujours rage et le nombre de malades ne cessait de croître. Ils allèrent donc demander conseil au Solitaire :

« Ils trouvent l’autre Saint, lui demandent conseil.

Il faut, dit leur ami, le prendre de soi-même.

Qui mieux que vous sait vos besoins ?

Apprendre à se connaître est le premier des soins »

Alors comment se connaître quand toute une société nous dit déjà quoi aimer, qui aimer et comment ? Quand elle nous dicte ce qui est digne ou non d’intérêt, nous impose son idée du beau et de ce qui ne l’est pas ? Et tout cela avant même que nous ayons eu le temps de plonger au fond de nous-mêmes pour trouver les réponses à toutes ces questions ! L’œuvre de La Fontaine est riche de bien d’autres précieuses maximes, et son œuvre a beaucoup à nous apprendre sur les travers humains. Car, après tout, c’est tout ce que nous sommes : des êtres humains. Alors pourquoi ne pas travailler cette humanité ?

 

 

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