Dominique de Villepin à Sciences Po : portrait d’un monde en mouvement

Georges Seguin (Okki), CC BY-SA 3.0 , via Wikimedia Commons

Dans un amphithéâtre Émile-Boutmy comblé, l’ex-Premier Ministre Dominique de Villepin a été accueilli par l’Association de la Licence d’Administration Publique (ALAP) d’Assas, la Conférence Olivaint et les Etudiants pour le Monde Arabe (EMA) de Sciences Po. La conférence avait pour thème « Monde arabe : La France a-t-elle toujours son mot à dire ? ». Au final, les arguments de l’ancien Premier ministre ont voyagé partout, de la Colombie à la Chine, en passant par la Syrie.

Sous les applaudissements bruyants, de Villepin commence la conférence avec une analyse du monde actuel et des échecs passés de la non-diplomatie. « Perdre non militairement, mais politiquement ». C’est ainsi qu’il décrit les interventions ratées en Iraq, en Afghanistan, en Libye et au Mali, entre autres. Ces interventions, entraînées par cet « esprit de guerre » du bloc occidental, ont semé cette humiliation persistante de ces pays endeuillés qui en font un « puissant ferment de l’identité ».Pour éviter cette humiliation aux conséquences internationales, il faut appliquer la règle première de la diplomatie : « Ne jamais humilier ». De Villepin explique : « Le discours de Trump sur les Mexicains s’apparente à celui des Européens sur les Africains ».

« Lorsqu’on brise la structure d’un Etat, les violences s’ensuivent », explique de Villepin. Il donne l’exemple de l’organisation de l’Etat Islamique (EI), qui a su profiter de la faiblesse des structures étatiques irakiennes résultant de la politique américaine de débaathification (dissolution de l’armée et le démantèlement du parti de Saddam Hussein) pour s’allier avec les anciens militaires afin de monter en puissance. Ces troubles régionaux ont des répercussions sur la sécurité des pays occidentaux : « Les mouvances djihadistes utilisent cette humiliation pour organiser des attentats. »

Pour ce qui est de la perte de vitesse de l’attachement à la démocratie, M. de Villepin offre une réponse. « Les systèmes autoritaires sont plus organisés car il n’y a pas de voix dissidente », explique-t-il. « Cela donne l’impression de marcher et d’être plus efficace, donc plus alléchant. » A cela s’ajoutent la peur du monde, l’isolationnisme et le protectionnisme.

« Ce n’est pas à coups d’accords avec la Turquie et la Libye [contrôle des frontières pour limiter le flux de migrants, n.d.l.r.] que nous serons à la hauteur de nos valeurs », dénonce l’ancien Ministre des Affaires étrangères. « Il faut plutôt un investissement massif dans le continent africain pour limiter le nombre de réfugiés.» Il prend exemple sur la Chine qui travaille sur une « nouvelle route de soie » qui permet de stabiliser le pourtour chinois ainsi que les régions avoisinantes, de l’Indonésie jusqu’au Zanzibar.

En ce qui concerne la diplomatie française, M. de Villepin est assez franc sur sa critique. « La France, en intégrant l’OTAN, s’est banalisée, égarée. C’est une voix parmi le troupeau », martèle-t-il. « La France doit arrêter cette diplomatie de papa qui ne marche pas. » Cette réponse fait écho aux interventions militaires dures comme en Libye et au Mali, et des prises de positions inflexibles face à la Russie qui sont contraires à l’esprit diplomatique, tout comme en Syrie. « Ce n’était pas notre rôle de tuer Kadhafi. […] Nous aurions dû nous limiter à des interventions légères au Mali pour assurer la sécurité. » Il rajoute à propos de la situation syrienne : « La diplomatie, ce n’est pas la morale ‘droit-de-l’hommiste’ ; c’est la morale de l’action au service des peuples, c’est parler à tout le monde, y compris les plus petits. » Il dénonce ces discussions presque qu’occidentales : « Il est impossible de régler le problème syrien sans l’Iran. C’est une implication dure à avaler pour les USA. » Il a continué son discours sur la diplomatie, en félicitant les efforts de paix en Colombie et de son gouvernement qui a accepté de discuter à Cuba.

En guise de conclusion, M. de Villepin a saisi l’occasion d’accuser une fois de plus le système international : « C’en est assez de ces oligarchies et des multinationales qui confisquent le jeu politique et le pouvoir ». Il s’est aussi offert un dernier tacle sur la diplomatie otanesque. « Les Russes ont autre chose à faire que d’attaquer la Pologne, pourtant les Polonais vivent dans un climat de peur créé par la relation tendue entre la Russie et l’OTAN. » Il nuance son propos quelques temps plus tard : « Toutefois, l’annexion de la Crimée est inacceptable. […] Il faut tenir bon sur ses principes, mais il faut faire avancer les choses. »

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